Célibataire en pleine pandémie, c’est cette nuit - alors que fièvre, courbatures et grands frissons me parcouraient le corps - que j’ai réalisé ce que voulait vraiment dire vivre seule en ces temps particuliers. N’avoir personne physiquement présent avec qui partager la douleur, le stress et l’attente. Une réalité qui m’a personnellement menée à deux réalisations : j’étais assurément devenue une adulte capable de prendre soin de moi et j’avais en moi la force pour tenir bon, seule dans la tempête.
Il y avait des pastilles et des flèches colorées à suivre collées un peu partout au sol. Beaucoup de membres du personnel de la santé aussi, formant une sorte de haie d’honneur humaine montrant le chemin et le prochain collègue vers qui je devais marcher. Tout était organisé au quart de tour, assez pour que je me sente fermement prise en main et en sécurité. Moi, la possible menace.
Il y avait cette dame qui allait - même si elle était gentille - devoir me rentrer un long coton-tige dans le nez. Il y a eu des sueurs froides et des gouttes qui ont perlé sous mon masque chirurgical et moi qui me suis soudainement sentie minuscule sur cette grande chaise plantée dans une petite salle immaculée. Sans d’autres mains à serrer que… les miennes.
Il y avait aussi Amine, mon chauffeur de taxi originaire de l’Algérie (son taxi était de ceux approuvés par le gouvernement pour déplacer les gens possiblement infectés à la COVID-19) qui m’attendait dehors, comme mon papa l’aurait fait en temps normal. Amine, qui a remplacé ma famille ce matin et qui le savait très bien parce que je n’avais pas manqué de lui confier mes appréhensions, mes doutes et mon désir de préserver mes petits parents du stress inutile de ce moment remplis d’incertitude. Du moins, pour le moment.
Au bout du Facebook Messenger, en pleine nuit de fièvre, il y avait eu Yann, mon ami devant l’éternel, qui m’avait rassuré tout en m’ordonnant d’« arrêter de prendre ma température aussi fréquemment, que c’était normal que ça fluctue! ». Il y avait eu Nathalie, ma belle enseignante qui faisait de l’insomnie parce qu’angoissée par son retour à l’école en zone rouge le matin même. Il y avait eu, en réponse à un texto envoyé pendant la nuit, celui de ma belle-sœur ambulancière qui me prodiguait ses précieux conseils alors que je m’étais finalement assoupie. Et moi qui, comme depuis le début de toute cette pandémie, m’inquiétais sincèrement plus pour mes parents vieillissants que pour moi-même.
Échos dans mon appartement vide, il y a surtout eu un grand silence à la levée du jour. Un de ces seuls matins sans musique ni balado pour me faire sourire et me tenir compagnie. Parce que ce matin venait avec toutes mes forces concentrées à me tenir debout dans la douche et à m’habiller pour me rendre me faire tester. En ne m’appuyant que sur moi et moi toute seule.
Ce matin en était un où il n’y avait pas d’amoureux pour flatter mon dos ankylosé, me préparer un thé au citron ou simplement me distraire de mes pensées. Personne avec qui évacuer le stress de ce dépistage à venir (finalement plus désagréable que douloureux) et surtout, tenter de combler le vide de l’attente.
Sarah-Émilie Nault
Bien sûr, il y avait eu plusieurs messages textes de ce nouvel ami rencontré quasi in extremis entre deux confinements. Des mots bienveillants, de petites pensées et quelques emojis qui faisaient du bien à coup de douces notifications sur mon téléphone, mais qui restaient des mots écrits exacerbant l’absence et la distance.
Il y avait aussi, à la maison, les livres sous lesquels je croulais littéralement, mais qui demandait tout de même qu’on puisse garder les yeux un tant soit peu ouverts pour être lus…
Célibataire et malade en pleine pandémie, il me semblait que c’était beaucoup pour ma bien sensible petite personne. Moi qui n’étais tout de même pas à l’article de la mort, qui avais toujours boulot, famille et amis il fallait le dire, mais qui commençait tout juste à apprivoiser les moments de solitude reliés au célibat en ces temps de foutu virus.
Heureusement, il y avait beaucoup de sollicitude et de douceur à l’intérieur de ce taxi qui me menait au centre de dépistage. Écouter Amine me parler de son Algérie natale - je l’avais questionné avec curiosité - me gonflait de joie en me transportant ailleurs, moi la voyageuse qui comptais les jours avant de pouvoir repartir.
Sur le chemin du retour, Amine m’a raconté que sa fille de 12 ans avait été malade récemment et avait aussi dû être testée pour la COVID-19. « Elle ne l’avait pas et je suis certain que vous ne l’aurez pas non plus », m’a-t-il lancé en me faisant un clin d’oeil dans le rétroviseur. J’ai souri derrière mon masque et espéré que cela se voyait à travers le voile de mes yeux vitreux.
Et même si je retournais m’isoler pendant je ne sais encore combien de jours, j’avais l’impression d’avoir compris bien des choses. Notamment, que je n’avais qu’à m’ouvrir juste assez aux gens pour qu’un moment aussi banal qu’un trajet de taxi repousse, du revers de la main, ma solitude. Comme l’avaient fait mes amis dans la nuit, puis au petit matin.